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Alsthom : l'enchaînement diabolique

Cet article a été publié dans le journal Le Monde daté du 3 octobre 2003.

"Alsthom est en péril. Ses 110.000 salariés, ses clients, ses actionnaires sont atterrés, se demandent comment cette entreprise, phare du savoir-faire industriel, a pu être conduite au bord du dépôt de bilan. C'est l'aboutissement d'un pitoyable enchaînement d'erreurs.

Il y a juste 10 ans, Alsthom (avec un h) qui s'appelait GEC Alsthom alors filiale d'Alcatel Alsthom et du britannique GEC, s'était hissé, riche d'un long passé, au premier rang international dans ses métiers, au niveau de l'américain General Electric, de l'européen ABB et devant l'allemand Siemens ou le japonais Mitsubishi. Elle venait de mettre en service une turbine à gaz de plus de 200 MW, record mondial à l'époque, allait vendre le TGV à la Corée et faisait des bénéfices.

Son destin bascula en 1995, lorsque je dus quitter Alcatel Alsthom, que je présidais depuis 9 ans. Le Conseil d'Administration, dans l'urgence, eût à nommer un nouveau président, qui choisît une stratégie radicalement différente de celle suivie jusqu'alors, qui rencontrait pourtant le succès que tous les opérateurs reconnaissaient.

Il décida de centrer l'activité du groupe sur les télécommunications, alors que, en continuité avec son passé industriel, Alcatel Alsthom était en 1995 leader mondial des télécoms, des câbles et, grâce à Alsthom, parmi les premiers sur la scène mondiale pour les équipements qui produisent et distribuent l'électricité, ainsi que, pour les transports ferroviaires ou maritimes. Le groupe bénéficiait ainsi pour son activité des cycles différents de ces divers secteurs, tout en profitant des synergies propres à ces métiers de fournisseur des infrastructures de base.

Mais, sur les marchés financiers, les intervenants réclamaient des sociétés de la spécialisation, de la création de valeur, et privilégiaient la haute technologie et la nouvelle économie. C'était répondre à cette mode que de concentrer sur les télécoms l'activité d'Alcatel Alsthom en espérant en retour, une meilleure valorisation de l'action. Les grands concurrents, General Electric ou Siemens, ne firent pas le même choix et, pour l'essentiel, conservèrent leurs différents métiers. Alcatel Alsthom procéda alors à de nombreux désinvestissements, abandonna sa forte participation dans Framatome, et mit successivement en bourse l'activité câbles sous le nom de Nexans (après, il est vrai, l'en avoir retiré en 1996) ainsi que, en 1998 GEC Alsthom, rapidement rebaptisé Alstom (sans h). Alcatel Alsthom afficha son changement de nature en s'appelant désormais Alcatel.

La logique financière présida à la mise sur le marché d'Alstom. L'essentiel de la trésorerie, traditionnellement positive dans cette activité, fut retenue par les actionnaires par deux décisions exceptionnelles (au total plus de 2 milliards d'euros) : un dividende supplémentaire et la vente de Cegelec. La direction d'Alstom tenait, depuis longtemps, à acquérir Cegelec, filiale spécialisée dans l'entreprise électrique que j'avais soigneusement veillé à tenir indépendante de la fabrication des équipements, car les cultures sont très différentes dans ces deux métiers complémentaires.

Le nouvel Alstom, désormais indépendant même si ses anciens actionnaires Alcatel et GEC restèrent quelques années au capital et au conseil d'administration, se devaient d'adapter ses ambitions et sa politique à sa structure financière affaiblie et à ses seules capacités de gestion ayant perdu la tutelle protectrice de son actionnaire principal.

Un politique volontariste fut pratiquée, présentée comme créatrice de valeur, pour séduire le marché financier. C'est ainsi que les carnets de commandes furent remplis par des contrats de longue durée porteurs, plus que d'usage, de financements de garanties et de risques. Il est de notoriété publique que l'achat des turbines d'ABB entraîna pour Alstom de lourdes pertes qui sont, pour une bonne part, à l'origine des difficultés d'aujourd'hui. Alstom aurait dû être prudente avant de décider cette acquisition et se souvenir que, quelques années auparavant, l'achat des activités ferroviaires d'ABB négociée par la même équipe, lui avait été refusée par Alcatel Alsthom et GEC après examen détaillé du dossier, qui avait paru receler trop de risques cachés. L'acquisition de Cegelec se révéla également malheureuse : prenant enfin conscience de la différence des métiers, Alstom s'en sépara en acceptant une lourde perte.

Le manque de profitabilité et la croissance de l'endettement inquiétèrent le marché. Le cours de l'action s'effondra, jusqu'à atteindre quelques euros, soit 10% du cours d'introduction. La réponse de la société illustre la priorité donnée aux critères financiers : elle lança l'opération "restore value" alors qu'il s'agissait prioritairement de régler les problèmes très techniques de fabrication pour honorer les engagements contractuels et de restaurer la confiance des clients. Le succès d'uns société industrielle comme Alsthom se gagne dans les ateliers, les centres de développement ou de recherche, au contact des hommes, quelle que soit leur position hiérarchique, qui détiennent le savoir-faire. La direction n'aurait pas du l'oublier et le conseil d'administration aurait du y veiller.

Mais le capital technique d'Alstom subsiste. La crise actuelle, essentiellement financière, ne l'a pas encore entamé. Sa prolongation risque cependant de le compromettre en nourrissant le doute chez les clients et en aggravant ainsi pour Alstom les effets de la mauvaise conjoncture. C'est pourquoi les délais, atermoiements et incertitudes que l'intervention de la commission de Bruxelles entraîne, sont particulièrement nocifs. Les responsables politiques ont eu raison de dénoncer le pouvoir tatillon des bureaux. Devant cette obstination, on peut légitimement s'interroger sur la pertinence de la politique de la concurrence qu'entend mener l'Union Européenne. Comment comprendre que la commission puisse accepter l'OPA d'Alcan et d'Alusuisse sur Pechiney alors qu'elle a refusé il y a trois ans la fusion de ces trois groupes ? L'OPA acceptée, il est clair que la victime principale des restructurations, conséquence inéluctable de ces rapprochements, sera Pechiney, alors que, dans une fusion à trois, les sacrifices auraient été plus équitablement répartis.

La nouvelle direction d'Alstom a compris la nature réelle des difficultés. Elle doit disposer de toute son énergie et de tout son temps pour remettre en selle cette grande entreprise meurtrie, résoudre les problèmes techniques, dynamiser les usines, convaincre les clients qu'ils ont raison de maintenir leur confiance pour le long terme. C'est pourquoi il est nécessaire que le plan de refinancement soit appliqué sans délais, sans réserves, à l'abri de toute réévaluation ultérieure. Comment cet impératif de bon sens pourra-t-il se concilier avec l'enquête que la Commission veut diligenter ?

La crise majeure qui frappe Alstom appelle beaucoup de questions. Comment une telle dérive a-t-elle pu se développer sans réactions des banques créditrices et être tolérée si longtemps par le conseil d'administration ? Cette réflexion doit s'étendre à l'enchaînement des décisions malencontreuses qui ont conduit à la situation d'aujourd'hui : à l'origine, une décision judiciaire à mon encontre fondée sur des allégations contestées dès le premier jour et toujours non établies 8 ans plus tard, ensuite l'abandon de l'électro-technique par Alcatel, puis la mise sur le marché d'une société financièrement affaiblie, la gestion plus financière que technique d'Alstom, enfin les retards et aleas inhérents à la procédure de la Commission.

Une certitude en toute hypothèse : les 110.000 salariés d'Alsthom, fiers de leur entreprise, ne méritaient pas ce diabolique enchaînement. Il faut souhaiter, pour eux-même, pour les actionnaires, pour les clients et aussi pour l'image industrielle de la France qu'Alstom vigoureusement reprise en main par son actuelle équipe de direction, survive à cette tempête et ainsi déçoive les convoitises de ses concurrents à l'affût."

Pierre Suard

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