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Chapitre VIII - L'Apogée

Et je dis à mes yeux qui lui trouvaient des charmes
Ailleurs tous vos regards, ailleurs toutes vos larmes,
Aimez ce que jamais on ne verra deux fois.

Alfred de Vigny, La Maison du berger

Après tous les efforts de recentrage, de restructuration, de développement technique, commercial, financier, Alcatel Alsthom était devenu un acteur majeur de la scène mondiale dans les années 1992-1994.

Son chiffre d’affaires total d’environ 160 milliards de francs provenait pour près de 70 % d’Alcatel (50 % pour les télécommunications, 20 % pour les câbles), 26 % du pôle énergie (Cegelec 9 % et Alsthom 17 %, dont on ne retenait, vu la structure du capital, que la moitié de son chiffre d’affaires réel, qui dépassait 50 milliards de francs) et 4 % dans les services.

Le Groupe consacrait à son développement chaque année plus de 6 milliards de francs d’investissements industriels, réalisait pour 15 milliards de francs de recherches qu’il payait à hauteur de 10 milliards sur ses ressources propres, la différence correspondant à des recherches faites à la demande et aux frais des clients. Les investissements industriels concernaient les diverses branches sensiblement dans la proportion de leur contribution au chiffre d’affaires. L’effort de recherche, en revanche, bénéficiait pour plus de 90 % à Alcatel, principalement au secteur télécommunications et beaucoup moins à celui des câbles. C’est ainsi que si, en moyenne, les travaux de recherche représentaient près de 10 % du chiffre d’affaires pour le Groupe, le ratio pouvait atteindre plus du double pour certains secteurs.

En effet, pendant toutes ces années, Alcatel devait faire face à un bouleversement des technologies alors que, nous allons le voir, les marchés évoluaient aussi radicalement.

 

Je n’ai pas l’intention, ni d’ailleurs la capacité d’exposer les multiples évolutions, voire révolutions, que les technologies des télécommunications ont connues pendant les années 80 et 90. Mais le lecteur ne peut en ignorer les grandes lignes, s’il souhaite comprendre les défis qu’Alcatel a dû surmonter.

Il y a seulement vingt ans, toutes les télécommunications étaient analogiques, c’est-à-dire que la voix transformée par le micro en signal électrique “ analogue ” était transmise par un circuit sans discontinuité jusqu’au haut parleur du récepteur qui la restituait au destinataire de la communication. Des techniques progressivement plus complexes permettent d’amalgamer plusieurs signaux individuels et de les transmettre simultanément, mais à chaque “ aiguillage ” du réseau il fallait démultiplexer le signal global pour envoyer chaque signal élémentaire à sa propre destination.

La numérisation (ou digitalisation) des signaux, rendue économique par le fantastique développement des circuits intégrés, allait révolutionner les fonctions traditionnelles d’un réseau de télécommunications.

C’est d’abord la commutation qui se convertit à la digitalisation et Alcatel C.I.T., en liaison avec les P.T.T. français, fut dans les années 70 un pionnier en la matière. Lorsque Alcatel fut créée en 1987, si la commutation du réseau français était largement numérique, ce n’était pas le cas dans les autres marchés, dont la conversion au numérique constitua un gigantesque marché pour Alcatel, qui s’ajouta à l’effet de la croissance de la demande de télécommunications. : en 1993, par exemple, Alcatel installa plus de 16 millions de lignes de commutation numérique de par le monde.

La transmission devint également numérique pour la partie transport. La numérisation du segment qui relie le client au premier poste de regroupement (les quelques centaines de mètres ou kilomètres terminaux) n’est pas encore numérique, sauf pour les utilisateurs spéciaux. La numérisation de la transmission fut grandement facilitée par la mise au point des transmissions sur fibre optique.

Alors que l’acheminement de la voix sur les réseaux de télécommunications devenait largement numérique, une demande nouvelle apparut, celle des données, numériques par essence, puis celle de l’image fixe puis animée. On chercha alors les moyens les plus efficaces de transporter simultanément voix, données et image. Le flux d’informations à acheminer fut multiplié par un facteur mille, d’où les développements parallèles de techniques nouvelles.

Dans le contexte de la structure historique des réseaux de télécommunications, Alcatel s’attacha à être à la pointe des recherches et développements techniques, par exemple pour la commutation large bande (norme A.T.M.) ou les transmissions synchrones et les techniques A.D.S.L. pour les lignes d'abonnés. Cette dernière technique, développée dès 1992, devait, quelques années plus tard, connaître un grand succès en permettant des raccordements haut débit (jusqu'à 6 Mbit/s au lieu des 28,8 Kbit/s standard en plus de la liaison voix téléphonique) sur les lignes d’abonnés ordinaires et répondre ainsi aux besoins de l’accès rapide à Internet.

Mais, dès les années 80, des réseaux spéciaux pour l’acheminement des données (Transpac par exemple en France) furent créés et C.I.T., avec le DPX 25, rencontra un grand succès en France et dans le monde dans cette technique de “ commutation par paquets ”. Le développement rapide du flux de données à échanger amena à revoir la structure même des réseaux et le mode d’acheminement. Au principe de connexion continue (même virtuel) entre l’appelant et l’appelé s’opposa la technique d’acheminement par paquets : dans ce mode, le message à transmettre est découpé en paquets élémentaires et chaque paquet d’information porteur de l’adresse de destination est acheminé indépendamment. Alcatel acquit ainsi diverses technologies dans ce monde de la transmission de données, qui évoluait rapidement, en particulier la technique QPSX développée en Australie pour interconnecter des réseaux L.A.N. (local area network). En février 1993, Alcatel et l’opérateur américain Sprint fusionnèrent dans A.D.N. (Alcatel Data Network) installé aux Etats-Unis et sous la responsabilité d’Alcatel leurs activités de transmissions de données, dont le chiffre d’affaires s’élevait à 180 millions d’ecus.

Alcatel développait aussi dans sa division communication d’entreprise une nouvelle génération de commutateurs privés (P.A.B.X.), enfin unique pour l’ensemble du Groupe, dont la capacité s’étendait depuis quelques lignes secondaires jusqu'à plusieurs centaines. Les plus gros modèles (4400) mis sur le marché en 1994 ou 1995 selon les pays rencontrèrent tout particulièrement un grand succès grâce à leur capacité d’être mis en réseau, et d’acheminer voix et données.

Alcatel fut dès cette époque attentive à l’apparition d’un nouveau protocole (IP : Internet protocol) pour la transmission de données et noua des relations techniques et commerciales avec des sociétés comme Cisco qui allaient devenir des géants et des concurrents très dangereux lorsque, quelques années plus tard, l’extraordinaire succès d’Internet confirma leurs options stratégiques.

Mais dès cette époque, Alcatel avait pris des positions stratégiques sur ce nouveau marché. C’est ainsi, et ce fut une décision que j’ai prise lors du dernier comité de direction que j’ai pu présider le 7 mars 1995, qu’ Alcatel acheta 10,5 % du capital d’une société récemment créée (start-up) Xylan, pour 10 millions de dollars. Xylan, fondée en 1993, avait lancé en novembre 1994 et avec succès, ses premiers produits de commutation compatibles avec le standard Internet et destinés au marché en grande croissance des L.A.N. et d’A.T.M. La suite devait brillamment valider cette décision puisqu’Alcatel acheta au début de 1999 la totalité de Xylan devenu un spécialiste de l’Internet sur la base de 2 milliards de dollars pour l’ensemble de la société, décision mûrement réfléchie si l’on se réfère aux propos du président d’Alcatel rapportés par le Financial Times le 11 mars 1999, puisqu’Alcatel “ avait pendant deux ans essayé d’acheter Xylan ”. Il n’empêche qu’en 1997, sans doute pour réaliser une plus-value, Alcatel avait vendu la moitié des actions Xylan acquises en 1995. A.D.N. fut également après quelques années fermée. On peut, avec le recul du temps, regretter que les options prises dès 1993-1994 pour développer Alcatel dans le marché naissant de l’Internet n’aient pas reçu les années suivantes l’appui continu de la direction du groupe.

La généralisation de la numérisation transforma la nature de l’industrie des télécommunications. Dans le prix d’un produit, transmission ou commutation, le hardware qui représentait au moins 70 à 80 % du total à l’époque de l’analogique, représentait moins de 20 % dans les nouvelles technologies ; l’essentiel du produit était représenté par les programmes informatiques dont la dimension grandit rapidement à mesure que les systèmes s’enrichissaient en fonctionnalités pour faciliter l’exploitation et la maintenance des réseaux, mais aussi pour offrir des services nouveaux aux utilisateurs, comme les n° 800, le transfert d’appel et l’utilisation des cartes de crédit. Alcatel était ainsi devenu principalement un producteur de logiciels et employait plus de 10 000 ingénieurs informaticiens. Un gros effort fut fait pour “ industrialiser ” la production des logiciels en unifiant les méthodes de programmation, les structures de programmes, les outils de tests dans les divers centres qui développaient les systèmes. Mais le poids des habitudes fut long et coûteux à surmonter.

Sur le plan industriel, il fallait convertir les usines traditionnelles dont la production principale était de la mécanique, en atelier d’électronique où des machines de plus en plus robotisées déposaient les composants sur les cartes regroupées ensuite dans des châssis. Ces cartes elles-mêmes incorporaient des composants de plus en plus intégrés, si bien que la capacité de traitement de la même carte augmentait rapidement et le volume physique de produit fini diminuait en proportion . En une dizaine d’années, le nombre des armoires constituant un central électronique fut divisé par cinq, à capacité égale. Le temps de travail pour fabriquer une ligne fut divisé dans la même proportion et celui pour installer le nouveau central dans le réseau par beaucoup plus. On imagine le redoutable problème social que cette conversion posa, car la croissance du marché, quoique forte, ne pouvait compenser les gains de productivité. C’est ainsi que pour Alcatel C.I.T. seule, le nombre d’employés passa de 20 000 en 1985 à moins de 12 000 en 1993.

Pour garder son indépendance technologique, Alcatel devait investir massivement dans les nouvelles techniques. Je ne vais évoquer que trois secteurs clés pour les réseaux de télécommunications : les composants silicium, les composants optoélectroniques et les fibres optiques.

La gravure de circuits intégrés sur des puces de silicium est à la base de l’électronique. Leur utilisation en télécommunications reste très faible par rapport à la demande pour l’électronique en général. Pour ses utilisations propres il a paru nécessaire à Alcatel de disposer de la capacité de concevoir et de fabriquer les circuits spécifiques qui constituent le cœur des équipements de télécommunications. Mais il fallait s’assurer, sans dépenses de développement prohibitives, de rester en ligne avec les progrès fantastiques de l’industrie des composants qui pratiquement tous les trois ou cinq ans fait un saut vers la miniaturisation et corrélativement accroît la capacité de traitement des composants. Alcatel résolut le dilemme en passant un accord avec S.G.S. Thomson qui lui garantissait le transfert des évolutions technologiques, et en échange Alcatel s’engageait à acheter à S.G.S. l’essentiel de ses besoins en composants standards.

La production de ces composants était la spécialité de l’usine d’Oudenaarde de Mietec, filiale d’Alcatel Bell, créée à l’origine avec l’aide des pouvoirs publics belges en Flandre. Alcatel développa cette unité avec persévérance : sa capacité fut en particulier doublée en 1993 par la construction d’un nouvel atelier destiné à produire les nouvelles générations de composants correspondant à une finesse de gravure de 0,5 micron puis de 0,3. Cette technologie exigeait pour la salle blanche des performances bien supérieures à celles réalisées dans la première partie de l’usine, en particulier en matière de pureté de l’air et d’insensibilité aux vibrations. J’eus le plaisir d’inaugurer cette nouvelle usine de Mietec le 26 avril 1993 en présence de deux Premiers ministres belges en exercice, celui de Flandre et celui de Belgique, situation originale que le fédéralisme crée, non sans quelques difficultés protocolaires, que la bonne humeur de chacun permit de surmonter facilement.

Alcatel put ainsi continuer à réaliser les circuits spécifiques qui concentraient de plus en plus la valeur ajoutée des produits de télécommunications au détriment des fabrications traditionnelles qui reposaient sur la production de cartes avec circuits imprimés sur lesquelles on déposait des composants discrets. Cette capacité de réaliser ses propres circuits permit à Alcatel de garder la maîtrise de ses produits de nouvelle génération dans tous les domaines, et même de se lancer dans des fabrications nouvelles comme celle des téléphones portables.

Pressentant depuis longtemps l’avenir des transmissions optiques, Alcatel en fit aussi un des axes principaux de ses efforts de recherche et de développement et simultanément sur les deux composants de cette nouvelle technique, la fibre optique et les lasers. Le pari apparaissait particulièrement audacieux car, pour les fibres par exemple, Corning dominait le marché mondial avec ses brevets. Mais à la différence des composants silicium, les applications des techniques optiques allaient se trouver principalement dans le domaine des télécommunications et, partant, il m’apparaissait indispensable pour le leader que voulait être Alcatel, de disposer librement de ces composants sans dépendre de fournisseurs extérieurs surtout s’il devait s’agir de concurrents.

Le groupe C.G.E. s’était intéressé, dès les années 70, à ces techniques sur lesquelles les Laboratoires de Marcoussis travaillaient. Dès mon arrivée à Câbles de Lyon, j’ai voulu préparer l’utilisation commerciale de cette nouvelle technique et donc assurer la fabrication industrielle des fibres optiques, des câbles à base de fibres optiques et des accessoires indispensables à leur raccordement. La C.L.T.O. (Compagnie Lyonnaise de Transmissions Optiques) fut créée afin qu’une équipe se consacre entièrement à cette nouvelle technique dans une structure propre indépendante du secteur traditionnel.

Je dois, là aussi, même sommairement, parler un peu de technique pour rendre le lecteur sensible au fantastique parcours d’Alcatel dans cette nouvelle technologie.

La fibre optique est un long fil de quartz très pur qui conduit la lumière. Elle doit pour cela ne pas perdre la lumière injectée à une extrémité, c’est-à-dire empêcher la lumière de sortir par les parois et en même temps assurer sa propagation sans l’affaiblir. Les premières fibres étaient dites à gradient d’indice, c’est-à-dire que l’indice de réfraction allait en décroissant du centre vers la paroi : cette structure a la propriété de dévier vers l’axe un rayon lumineux qui s’en écarte et ainsi de le confiner dans la fibre. Mais cette déviation dépend de la longueur d’onde de la lumière aussi, même avec une source très pure comme les lasers, il y a toujours une certaine dispersion qui déforme le signal lumineux. Ces fibres étaient dites multimodes, sous entendu de propagation. Pour réduire cet inconvénient, on fabriqua des fibres à saut d’indice, dites monomodes : là un cœur est entouré d’une gaine d’indice plus faible et ainsi le rayon lumineux se réfléchit à la surface qui sépare les deux milieux et, en quelque sorte, “ va tout droit ”. Ces nouvelles fibres, de diamètre extérieur analogue aux précédentes (environ 120 microns, soit 0,12 mm) comportaient un coeur (volume où se propage la lumière) d’une dizaine de microns. On imagine facilement que de légères irrégularités de fabrication (par exemple de centrage ou de dimension du cœur) détériorent rapidement la propagation du rayon lumineux.

L’affaiblissement de la lumière qui se propage dans la fibre dépend aussi du milieu (de sa pureté) et varie selon la longueur d’onde (ou la “couleur ”) de la lumière. Il se mesure en décibels (db). Un affaiblissement de 10 db divise par dix la puissance transmise. Les premières générations de fibres utilisaient des lasers de 0,8 micron de longueur d’onde et présentaient un affaiblissement de quelques décibels par kilomètre. En quelques années, on apprit à travailler avec des lasers de plus grande longueur d’onde (1,3 micron, puis 1,5 micron) et de plus grande puissance, et l’affaiblissement tomba à quelques dixièmes de db par kilomètre.

La première étape pour fabriquer une fibre consiste à produire une préforme, gros barreau de verre dont la composition (indice de réfraction) doit être rigoureusement contrôlée car elle détermine la qualité de la fibre obtenue ensuite par chauffage et étirage, qui fait que la structure transversale de la fibre reproduit homothétiquement celle de la préforme. Dans un premier temps, Alcatel fabriqua des préformes sur une licence Corning puis par son propre procédé. Là aussi, en quelques années, des progrès considérables furent réalisés qui permirent de produire des fibres plus vite et en plus grande longueur (200 ou 300 kilomètres) parce que l’on avait appris à faire des préformes plus grosses tout en assurant la parfaite homogénéité et symétrie requises. Alcatel put ainsi industrialiser ces procédés et deux usines, l’une en France et l’autre aux Etats-Unis, produisirent annuellement plusieurs centaines de milliers de kilomètres de fibres.

Le laser, deuxième composant tout aussi stratégique des transmissions optiques, bénéficia aussi d’importantes recherches et Alcatel acquit une compétence mondialement reconnue. A l’origine, les Laboratoires de Marcoussis s’intéressèrent à tout type de lasers, y compris les lasers de puissance ou d’application militaire. Une société, Cilas, fut même créée pour les applications militaires : elle rejoignit Thomson lors du grand accord de 1984. Alcatel se spécialisa dans les lasers destinés aux télécommunications.

Un laser a la propriété d’émettre, convenablement excité par un courant électrique, une lumière très pure (quasi monochromatique). Le développement consista à augmenter la puissance émise, la linéarité de l’émission, à travers des structures qui produisent une lumière dans les plages de longueurs d’ondes où l’affaiblissement des fibres est minimum.

Le couplage laser fibre est aussi un point critique du système car l’objectif est d’injecter dans le cœur de la fibre l’essentiel de la lumière produite.

Corrélativement, il fallait développer des récepteurs qui, en bout de fibre, excités par le signal lumineux, le convertissaient en signal électrique.

Mais les progrès ne s’arrêtèrent pas là. Un système de transmission, surtout s’il s’agit d’un câble sous-marin transcontinental, est trop long pour que le signal lumineux injecté à un bout soit encore lisible à l’extrémité : il faut donc, à intervalles réguliers, régénérer le signal et l’on pressent que plus le signal est finement modulé, car porteur de beaucoup d’informations, plus le besoin de le régénérer est fréquent. C’est là la fonction des répéteurs qui convertissent le signal lumineux arrivant en signal électrique qui est amplifié et remodelé puis envoyé sur un laser qui injecte le nouveau signal lumineux sur la fibre du tronçon suivant et ainsi de suite.

D’autres progrès vont intervenir comme la régénération optique du signal (sans conversion en signal électrique) et le multiplexage en longueur d’onde : on sut fabriquer des lasers si finement monochromatiques qu’il est désormais possible de faire transiter sur la même fibre, et dans la même plage de longueurs d’ondes, plusieurs signaux lumineux de “ couleur ” légèrement différente (jusqu'à plusieurs dizaines), c’est-à-dire de longueurs d’onde différentes que l’on peut séparer et traiter indépendamment à l’arrivée grâce à un système qui, analogue au prisme, étale les couleurs du spectre.

La combinaison de tous ces progrès sur les fibres (moins d’affaiblissement, meilleure conservation de la qualité du signal), sur les lasers (plus de puissance, meilleure pureté de la lumière), permit d’augmenter de façon spectaculaire le débit d’informations que l’on put acheminer sur une paire de fibres optiques. La première liaison commerciale livrée par la C.L.T.O. fut, en 1980, un déport radar sur l’aéroport de Nice : elle transportait sur une distance de deux kilomètres un signal de 2 mégabit/seconde. Quinze ans plus tard, Alcatel réalisait des liaisons transocéaniques de plusieurs gigabit/seconde et préparait, avec le multiplexage, des capacités de l’ordre du térabit/seconde, soit un débit de mille et un million de fois plus élevé. En même temps, la distance entre répéteurs était multipliée par dix passant de quelques dizaines de kilomètres à quelques centaines de kilomètres, si bien que les liaisons terrestres, et même certaines liaisons sous-marines, sont désormais sans répéteurs. La maîtrise de cette technologie et la perspective d’une croissance très forte de la demande expliquent la persévérance dont Alcatel fit preuve pour acquérir S.T.C.

Pour s’assurer une source propre de ces composants optoélectroniques, d’utilisation spécifique aux télécommunications, nous décidâmes, à l’exemple de ce qui fut réalisé à Mietec, la création d’une filiale spécialisée en optronique. Une usine toute neuve fut construite près des Laboratoires de Marcoussis, à Nozay, dans la région parisienne: elle entra en fabrication en 1994 et rapidement répondit à l’attente grâce notamment au savoir-faire de Terry Unter, son directeur général, que j’avais vu à l’œuvre à Mietec puis à Belling à Shanghaï. Cet ingénieur de talent, de nationalité canadienne, à l’expérience internationale exceptionnelle, doit cependant garder un souvenir mitigé de son passage en France car, malgré une réussite technique éclatante, son séjour fut écourté à la suite d’une obscure affaire d’horaires de travail sur laquelle s’acharna le Parquet d’Evry. Là aussi, je peux regretter d’avoir tenu à installer cette unité en France : si elle avait été construite ailleurs, par exemple à Oudenaarde, près de Mietec, ce directeur général travaillerait sans doute toujours à Alcatel.

La fabrication industrielle de ces composants optoélectroniques entreprise dès 1994 allait rapidement faire de la division Optronics d’Alcatel un des fournisseurs leaders sur le marché mondial. Six ans plus tard, elle permit au président d’Alcatel d’annoncer, dans une lettre aux actionnaires : “ Notre activité de composants optiques est en plein essor ... Alcatel est un grand de ce secteur et souhaite mettre au mieux en valeur son savoir-faire et la qualité de ses réalisations en la matière. ” Dans la haute technologie, les succès d’un jour résultent de décisions souvent anciennes et d’un effort persévérant de plusieurs années.

Alcatel fit aussi de gros efforts dans le domaine des communications par radio. J’évoquerai deux secteurs, la téléphonie mobile et les satellites de télécommunications.

J’ai dit comment, dès l’apparition de la norme G.S.M. qui codifiait, sur le plan international, la téléphonie mobile, Alcatel entreprit, d’abord en consortium avec A.E.G. et Nokia, puis seul, un vaste programme de développement, qui porta ses fruits en premier dans les installations fixes et plus tard dans les téléphones portables.

L’entrée d’Alcatel dans ce nouveau marché parut naturelle pour le segment des installations fixes qui comprenait deux parts : la partie radio avec son réseau de stations de base qui communiquent avec les appareils mobiles, ainsi que la gestion de ces stations de base, domaine du groupe de produits “ Radio Space and Defence - R.S.D. ”, d’une part, et d’autre part, la partie commutation qui assure l’interface avec le réseau fixe pour l’acheminement des communications ainsi que la gestion des abonnés mobiles. Sur la partie radio, le développement fut difficile car nous manquions de l’expérience acquise par nos concurrents dans la téléphonie mobile analogique : nous pûmes néanmoins offrir aux opérateurs des équipements qui furent largement utilisés lors de l’installation des nouveaux réseaux dans la plupart des pays. Pour la partie commutation, malgré les décisions de principe plusieurs fois prises de développer un système unique, je ne pus empêcher qu’en fait deux systèmes fussent développés, l’un sur la base du E10 et l’autre sur celle du Système 12, et même trois si l’on tient compte des nombreuses spécificités auxquelles tenait S.E.L., qui différenciaient son système de celui développé par Bell plus universellement utilisé par les diverses filiales d’Alcatel. Cette multiplicité des développements, que Jo Cornu, directeur du groupe de produits systèmes de réseaux ne sut pas empêcher, coûta fort cher à Alcatel. Elle lui permit néanmoins d’offrir à ses clients traditionnels à temps des systèmes homogènes avec les produits déjà utilisés dans leur réseau.

En 1993, le succès d’Alcatel dans la téléphonie mobile ne se discutait pas. Avec plus de 2,5 millions de lignes d’abonnés commandées ou installées, Alcatel occupait avec 25 % du marché mondial des infrastructures G.S.M. la deuxième place. Alcatel fournissait en particulier la totalité des équipements aux deux opérateurs de la Région parisienne, mais était largement présent dans les principaux pays d’Europe, en Australie, en Asie et en Afrique du Sud.

La situation dans le domaine des téléphones portables apparaissait toute différente. On pensa d’abord à développer des téléphones de voiture, puis rapidement la miniaturisation qui permettait des appareils portables personnels s’imposa. La puissance requise sur l’appareil mobile pour communiquer avec les stations de base passa de 8 watts à 2 watts, permettant un allégement sensible des batteries dont les performances intrinsèques s’amélioraient également.

Une parenthèse. Même réduite à deux watts, la puissance rayonnée par l’appareil tenu contre l’oreille pouvait poser problème. J’ai demandé, dès que le système s’esquissait, que les Laboratoires de Marcoussis analysent si la présence de cette source de rayonnement près de la tête pouvait faire courir un risque à l’utilisateur. La réponse fut plutôt rassurante : il n’y avait dans ce domaine pas de norme pour la protection de la santé ; sur le plan physique, avec les appareils de l’époque et la fréquence utilisée (900 Mhertz) la concentration de puissance dans les tissus semblait au dessous des seuils qui pouvaient provoquer une élévation de température dangereuse pour les cellules vivantes. Mais si ces deux paramètres évoluaient, et notamment avec des sources à plus haute fréquence, ce qui est le cas des nouvelles générations de systèmes, et le sera inévitablement de plus en plus (par suite de l’encombrement du spectre des fréquences), les conclusions devaient être relativisées. A mon sens, la question se posera un jour sans qu’il faille pour autant redouter un effet “ four à micro ondes ”, qui ferait cuire l’oreille ou le cerveau de l’utilisateur forcené de téléphone portable.

La direction d’Alcatel n’était pas favorable à ce que le Groupe entreprenne la fabrication de ces nouveaux produits. Elle faisait valoir de bonnes raisons. A la différence des téléphones à fil, appareils relativement simples, même les plus complexes, le téléphone portable apparaissait devoir être un équipement électronique sophistiqué avec processeurs puissants et une mémoire de masse capable d’héberger et de traiter des logiciels de plusieurs centaines de milliers d’instructions. Alcatel n’avait pas l’expérience de ces fabrications qui ressortissaient naturellement du savoir-faire des grands groupes spécialistes de l’électronique grand public, et notamment des groupes japonais. La seule expérience d’Alcatel était la fabrication de systèmes de téléphonie analogiques privés, civils ou militaires, et son usine de Laval fabriquait au mieux une dizaine de milliers de portables par an.

Mais l’enjeu me paraissait de taille : ce marché semblait appelé à un grand développement et le maintien en activité de l’usine de Laval en dépendait. Pour prendre la décision, je réunis non seulement le Comité de direction d’Alcatel, mais aussi la hiérarchie en charge du projet et, j’avais insisté sur ce point, les ingénieurs chargés du projet eux-mêmes. Procédure exceptionnelle : j’invite, avant de conclure, chaque directeur à donner successivement son avis. Tous ceux qui s’exprimèrent conclurent qu’il ne fallait pas entreprendre la fabrication des téléphones portables et chercher au contraire à s’approvisionner en Extrême-Orient. Prenant la parole en dernier, je dis que ce n’était pas mon avis et qu’il fallait retenir les propositions des personnes chargées du projet, leur donner les moyens demandés et préparer la reconversion de l’usine de Laval à cette fabrication à la fois de masse et de haute technologie. Un jeune directeur fut nommé à la tête de cette division ; au prix de gros efforts de technique et de marketing, et aussi de financement, il réussit à concevoir en quelques années une gamme de produits bien admis par le marché et gagna quelques années plus tard une place honorable pour Alcatel sur ce marché qui allait exploser. La fabrication annuelle de l’usine de Laval fut portée à plusieurs millions de téléphones, c’est-à-dire que l’usine qui devait être fermée si j’avais suivi l’avis du Comité de direction, fabriquera par jour l’équivalent en nombre de sa production annuelle antérieure. Mais le prix unitaire n’avait bien sûr aucun rapport. Cette réunion me fut rappelée quelques années plus tard par un des jeunes participants qui, encore impressionné par son déroulement et témoin du succès ultérieur, m’exprima sa gratitude pour le risque pris personnellement ce jour-là.

Je n’eus pas en réalité beaucoup d’hésitations à surmonter car j’ai toujours considéré qu’un groupe industriel doit conserver des fabrications propres même au prix d’efforts parfois colossaux de reconversion, car il s’agit en quelque sorte de son âme qui le différencie des groupes de distribution ou des holdings financiers. J’ai déjà dit que, pour moi, un groupe industriel ne peut exister sans usine. Je n’hésite pas à répéter cette Lapalissade. Alcatel, par la pression de la concurrence venue d’Asie, avait dû réduire beaucoup sa fabrication de téléphones à fil. Après études de marchés et analyses techniques approfondies, ce marché nouveau très technique et à fort potentiel appelait une décision stratégique nette. En dépit du risque, elle fut prise. C’était pour moi tout simplement un cas typique, et il y en eut bien d’autres, où le chef ne doit pas esquiver sa responsabilité et savoir, au besoin seul, assumer les risques que l’intérêt du groupe commande de prendre. Il ne doit pas en espérer une reconnaissance quelconque mais penser plutôt comme Joffre au sujet de la bataille de la Marne : on ne sait qui l’a gagnée, mais on aurait su qui l’avait perdue.

Dans le domaine des satellites, Alcatel avait reçu de Thomson la fabrication des charges utiles. Un satellite se compose en effet d’une plate-forme, le véhicule avec ses commandes, ses systèmes de navigation, et de conditionnement, domaine en général des constructeurs aéronautiques, et sa charge utile adaptée à sa mission, télécommunication, observation, expérimentation scientifique. Alcatel construisait des charges pour les satellites de télécommunications ou d’observation, à des fins civiles ou militaires.

Dans ce domaine également, la technique a beaucoup progressé. Pour les satellites de télécommunications, par exemple, à l’origine simple miroir inerte qui renvoyait vers la terre les faisceaux reçus du sol, on a vu apparaître des capacités croissantes, des antennes à réflexion directive et téléréglable, puis des échanges de messages entre satellites. Dans le domaine militaire, les performances de l’observation par satellite firent également des progrès fantastiques, mais l’essentiel des investissements étaient réalisés par les Etats-Unis, qui réservaient la réalisation de leurs systèmes à leur industrie nationale. Alcatel contribuera largement aux programmes français dont les événements récents ont confirmé l’importance puisque, lors des crises graves, la France est le seul pays occidental à disposer d’informations propres et à ne pas dépendre totalement des sources américaines.

En 1990, Alcatel négocia un accord avec l’Aérospatiale, un des fabricants français de plates-formes, aux termes duquel les deux groupes apportaient à une filiale commune, dont la direction aurait été de la responsabilité d’Alcatel, leurs activités satellites. Ainsi devait naître une société capable de fabriquer la totalité d’un satellite au moment où l’on pressentait un développement sensible de ce marché. Cet accord ne put entrer en vigueur car Aérospatiale, nationalisée, n’obtint pas l’autorisation de sa tutelle pour mettre en vigueur cet accord dont l’effet était une privatisation partielle. A cette époque, la règle était, comme déjà dit, le “ ni ni ” (ni privatisation ni nationalisation), ce qui n’empêcha pas - on l’a vu - la nationalisation de Framatome, mais ce mouvement “ allait dans le bon sens ” !

La réalisation de cette fusion des activités satellites d’Alcatel et de l’Aérospatiale fut finalement réalisée quelques années après mon départ, et je m’en réjouis.

De nouvelles applications des satellites apparaissaient à l’époque et chaque fois Alcatel s’y intéressa vivement. C’est ainsi qu’un système de localisation au sol des véhicules (G.P.S.) d’origine militaire américaine, fut mis à la disposition des civils (mais avec des performances dégradées). Alcatel, en s’associant avec la société américaine Qualcom, développeur du système, prit la licence qui lui permettait d’assurer ce nouveau service Euteltracs et de distribuer les terminaux : ceux-ci placés sur les véhicules et en communication avec un réseau de satellites en orbite basse (toujours au moins trois “ visibles ”) donnaient la localisation (à quelques dizaines de mètres près) et assuraient l’émission et la réception de messages alphanumériques élémentaires. L’application typique concernait la gestion en temps réel d’une flotte de camions assurant les transports longue distance à travers plusieurs pays. Dans chaque pays, il fallait mettre en place une société pour gérer le service. Les opérateurs nationaux traditionnels, très vigilants pour prévenir toute initiative qui porterait atteinte à leur monopole, s’emparèrent en général de ce service nouveau, mais ne firent guère d’efforts pour le développer. Ce fut le cas en France en particulier. Mais chaque fois que ce fut possible, Alcatel participa à, voire créa, la société d’exploitation.

Je considérais en effet que dans la perspective des dérégulations, Alcatel ne pouvait s’interdire de participer à des sociétés exploitantes de réseaux et fournissant aux clients finaux des prestations de télécommunications. Alcatel devait éviter cependant une concurrence directe avec ses clients opérateurs. C’était pour nous le moyen de connaître directement les vrais besoins du marché, ainsi que les contraintes et les désirs des opérateurs, autant d’informations dont nous avions besoin pour définir nos produits et systèmes du futur. Traditionnellement le marketing et la technologie de nos produits étaient très influencés par nos clients historiques fortement structurés, y compris sur le plan technique, et qui avaient tendance à confier aux constructeurs des morceaux du puzzle et à se réserver l’architecture des réseaux et la mise au point des systèmes. Nous devions échapper à cette répartition des tâches en devenant capables d’assurer la conception et la réalisation de systèmes complets, y compris de tous les systèmes d’exploitation, car l’on pressentait bien que les opérateurs nouveaux qui apparaîtraient après l’ouverture du marché pouvaient avoir une vision différente, d’où la nécessité pour nous de connaître directement leurs besoins par anticipation.

C’est ainsi qu’Alcatel réalisa quelques investissements, mais chaque fois en ménageant la susceptibilité de ses clients opérateurs.

Alcatel participa, par exemple, à la création de la société Globalstar (1993) qui s’était donné comme objet de mettre en place un réseau téléphonique mondial accessible universellement par des téléphones portables. Le principe original, et différent de celui du projet concurrent Iridium, uniquement à base de satellites, combine les transmissions via le satellite (pour le segment qui rejoint le mobile) et les transmissions sur les réseaux terrestres ordinaires auxquels les satellites renvoient (ou desquels ils reçoivent) les communications concernant les abonnés mobiles de Globalstar. Alcatel s’assurait certes avec cet investissement la mise au point du système et la fabrication de 56 satellites, mais accédait aussi à la responsabilité d’exploitant. France Telecom s’en émut, souhaita investir elle-même dans Globalstar, mais ne pouvant obtenir à temps l’autorisation de sa tutelle (le montant était pourtant modeste : 20 millions de dollars) elle demanda à Alcatel d’investir pour son compte. Nous tombâmes finalement d’accord sur une position intermédiaire : nous nous engageâmes à rétrocéder à France Telecom 51 % des actions de la holding qui portait la participation dans Globalstar, ce qui fut fait quelques mois plus tard.

C’est aussi à cette époque qu’Alcatel s’intéressa à la promotion d’un nouveau système de diffusion de radios par satellite, “ Worldspace ”, destiné à la couverture de vastes régions comme l’Afrique, où la diffusion hertzienne était difficile par manque d’infrastructure ou insuffisance de leur entretien. Il s’agit de la diffusion à partir de satellites de radios numérisées, donc d’excellente qualité, et reçues directement sur terre dans les foyers équipés d’appareils radio spécialement conçus à cet effet et dont le prix devra correspondre au revenu des habitants des régions couvertes. Pour faciliter la mise en place du projet, j’autorisai notre filiale Alcatel Espace à participer à hauteur de 5 millions d’ecus au capital du futur opérateur. Ce projet devait aboutir six ans plus tard : Alcatel n’eut même pas à investir dans l’opérateur et fournit pour près d’un milliard d’ecus de prestations à ce projet original.

Autre exemple, qui concerne le G.S.M.  Courant 1991, j’apprends l’existence de contacts à haut niveau entre A.T.T. et les autorités de la Polynésie française. Il faut savoir qu’il s’agit d’un Territoire d’outre-mer où Alcatel Alsthom a depuis longtemps des activités commerciales régulières et assure également certaines prestations au centre d’essais nucléaires de Mururoa, et que nous connaissons donc bien. Alcatel a en particulier fourni à l’Office des Postes et Télécommunications (O.P.T.) les équipements les plus modernes qui font de cet archipel une vitrine des télécommunications françaises pour le Pacifique. Le Territoire a reçu de la métropole la compétence pour les télécommunications locales : l’O.P.T., établissement public territorial en est chargé et il remplit sa mission avec compétence et efficacité. Il tient d’ailleurs jalousement à son indépendance par rapport à France Telecom, émanation de l’ancienne administration tutélaire. Mais, comme en métropole, un mouvement en faveur d’une privatisation des télécommunications s’amorçait, et j’étais préoccupé que cela se fasse au profit du grand opérateur américain. Chacun sait que la présence française dans cette immensité du Pacifique sud est contestée ouvertement ou sournoisement par beaucoup.

Nous décidâmes donc, alors que l’O.P.T. songeait à doter l’île la plus peuplée, Tahiti, d’un réseau G.S.M., de proposer non seulement une solution technique, mais aussi une solution complète avec le financement et l’exploitation du système. Après bien des discussions une société fut créée, Tikiphone, à majorité Alcatel, mais avec une forte participation minoritaire de l’O.P.T., ainsi que celle d’intérêts privés polynésiens. Le réseau fut installé, fonctionna rapidement à la satisfaction des abonnés et des actionnaires. Malheureusement, c’est du moins mon opinion, mon successeur abandonna cette expérience, revendit (avec plus value) les actions d’Alcatel à l’O.P.T. et renonça de fait à cette excellente position de départ pour la privatisation éventuelle de l’ensemble des télécommunications, toujours possible surtout si les transferts de compétences de la métropole aux territoires devaient s’élargir.

Mais nous nous étions aussi vivement intéressés à l’ouverture du marché des télécommunications en métropole. Nous avons, en particulier, préparé, présenté et défendu une proposition lors de l’appel d’offres pour choisir le troisième opérateur de téléphones mobiles. Notre dossier a visiblement été apprécié favorablement par la Commission qui analysa les offres comme le montrent les documents rendus publics. Le choix final se porta cependant sur un nouveau venu dans le monde des télécommunications, mais pas dans celui des médias. Son offre s’appuyait sur un système fourni par notre concurrent français qui reposait largement sur des équipements importés. Mais l’insertion dans l’environnement français allait être facilitée puisque, quelques mois plus tard, ce fournisseur recruta un collaborateur très proche du ministre des Télécommunications qui avait suivi toute la procédure de consultation et de décision. Je ne prétends pas établir de liens de cause à effet dans cette narration, ni par l’évocation de relations privilégiées possibles avec de grands médias ; il n’en reste pas moins que la décision finale nous laissa un goût amer, surtout lorsque je la rapprochais de la réflexion que m’avait spontanément faite, quelques mois plus tôt, un homme politique appelé à un grand avenir. Selon lui, nous perdions notre temps en présentant une offre car la décision en faveur de l’offre concurrente était inévitable dans la perspective de la campagne électorale qui allait se déchaîner. Nous étions en 1994.

Tels le voyageur de commerce japonais de légende, sortis du troisième opérateur, nous décidâmes d’acheter les 25 % du deuxième opérateur qu’une banque détenait. Cet investissement nous permit, en participant au Conseil de Cofira, de nous familiariser avec les problèmes d’un exploitant, ce qui était notre objectif dans cette démarche persévérante. Là aussi, mon successeur décida de revendre cette participation, et réalisa à nouveau une plus value, cette fois très substantielle de plusieurs milliards de francs.

Les efforts pour développer les produits ont été aussi entrepris dans les autres secteurs d’Alcatel Alsthom, dans une moindre mesure cependant car les techniques y évoluaient moins vite. Mais l’effort de développement des implantations internationales techniques ou commerciales fut général et devait vite porter ses fruits.

Un regret ternit cependant ce bilan : il ne fut pas possible de retrouver le contrôle de Framatome que nous avions perdu en 1990 pour les raisons politiques précédemment relatées. Le nouveau gouvernement en 1993 annonça une large politique de nouvelles privatisations et le contexte parut donc favorable. Des négociations très poussées furent entreprises avec Philippe Rouvillois, président du C.E.A.I. mandaté par le gouvernement et nous arrivâmes à un accord qui fut soumis à sa décision. L’ambiance avait évolué au sein de la direction de l’entreprise depuis la crise de 1990 et le président emblématique de Framatome, Jean-Claude Lény, déclara même dans une conférence de presse qu’il voyait des avantages pour sa société à s’adosser à un grand groupe industriel comme Alcatel Alsthom. Tous les obstacles semblaient levés. Le gouvernement fit traîner sa décision : dans les derniers mois de 1994, il finit du bout des lèvres par refuser d’approuver l’accord conclu. Ses préoccupations allaient à la campagne électorale. C’est ainsi que mourut définitivement la possibilité de constituer avec Framatome et G.E.C. Alsthom un grand groupe électromécanique.

Malgré cette difficulté dans le nucléaire, la situation d’Alcatel Alsthom apparaissait en 1993 particulièrement solide en dépit de la crise économique qui ralentissait son activité sur ses marchés traditionnels européens. Le chemin parcouru depuis 1986 impressionnait. Le chiffre d’affaires total de 1993 à 156 milliards de francs (le double de 1986) provenait entre autres, pour 75 milliards de francs, des télécommunications (contre 25 en 1986), 30 milliards de francs des câbles (contre 11 en 1986). Il était toutefois en baisse de 3 % sur l’année précédente et voyait la part réalisée en Europe passer dans le même temps de 75 à 72 %, alors que celle réalisée en Asie s’élevait à 11 % (contre 8 % en 1992) Pour les télécommunications seules, le basculement fut plus brutal encore. Les marchés européens ont baissé par rapport à 1992, de 15 à 20 % dans des pays tels que l’Allemagne et l’Italie. Alcatel a néanmoins réussi à limiter la baisse de son chiffre d’affaires à 1 % grâce au développement important de ses exportations, en particulier vers l’Asie. Ainsi les filiales européennes d’ Alcatel ont augmenté en 1993 leurs exportations de 30 %.

Les commandes à 158 milliards de francs renouvelaient le carnet mais traduisaient les hésitations des clients à investir dans la conjoncture du moment. Le groupe dégageait une marge opérationnelle de 14,3 milliards de francs sensiblement analogue à celle de l’année précédente à 9,1 % du chiffre d’affaires, taux sensiblement homogène entre les grands secteurs Alcatel et G.E.C. Alsthom (11,1 % pour les télécommunications, 7,4 pour les câbles, 8,2 pour l’énergie, 15,7 pour les services).

Le résultat net du groupe à 7 935 millions de francs s’entendait après 15,2 milliards de francs de recherches, 2488 millions de francs de frais de restructurations (2 850 MF en moyenne annuelle sur trois ans), et 2 053 MF d’amortissements de survaleur (goodwill). Déduction faite de la part revenant aux intérêts minoritaires (870 MF) le résultat net s’établit à 7 062 millions de francs pour 1993 (contre 1 159 MF en 1986). C’était cette année-là le résultat le plus important des sociétés françaises, obtenu de surcroît pratiquement sans plus-values exceptionnelles (75 MF seulement).

Les opérations d’exploitation ont généré un cash flow de 16,6 MF de francs couvrant largement les investissements industriels (7,1 milliards de francs) et financiers (4,0 milliards de francs) et permettant de réduire l’endettement du Groupe. A la fin de 1993, les dettes nettes s’élevaient à 7,2 milliards de francs (contre 26 milliards à la fin de 1986) et les capitaux propres à 58 milliards (contre 11 à la fin de 1986).

J’étais souvent amené à présenter le groupe, ses activités, sa stratégie, ses résultats à la communauté financière et aussi à dresser le bilan. Le 6 mai 1993, par exemple, je participais à la Paris Investor Conference de la banque J.P. Morgan. De l’exposé fait ce jour-là, j’extrais trois graphiques résumant la construction du chiffre d’affaires d’Alcatel Alsthom (avec le rappel des trois acquisitions , Thomson, I.T.T., Fiat Telettra) ; la progression du bénéfice net et la comparaison des chiffres d’affaires d’Alcatel Alsthom avec ceux de ses principaux concurrents dans deux domaines : énergie transport (axe vertical) télécommunications (axe horizontal).

Ce graphique illustre parfaitement la position qu’Alcatel Alsthom avait gagnée en 1993 sur la scène internationale : la première.




Dans le domaine de l’énergie et des transports, seul A.B.B. le dépasse, mais Alcatel Alsthom devance les Américains General Electric et Westinghouse, l’allemand Siemens, les Japonais Mitsubushi et Hitachi. Dans les télécommunications, Alcatel Alsthom est le leader mondial devant A.T.T., Siemens, Northern Telecom (devenu Nortel), N.E.C., Ericsson, Motorola ou Nokia.

Alcatel Alsthom bénéficiait à l’évidence des progrès accomplis, techniques et commerciaux, fruit de la politique continue de productivité, de recherche, de développement d’implantation sur les nouveaux marchés.

G.E.C. Alsthom par exemple, pour le quatrième exercice consécutif, augmentait son résultat opérationnel dont le taux se rapprochait de la moyenne du Groupe. G.E.C. Alsthom venait de mettre en exploitation commerciale sur le site de Gennevilliers d’E.D.F. sa première turbine à gaz 9F qui, dès sa mise en route, a enregistré la plus forte puissance (215 MW, portée par la suite à 250 MW) jamais obtenue par une seule turbine à gaz. La très bonne position de G.E.C. Alsthom dans le secteur des turbines à gaz à cycles combinés s’est confirmée. A la fin 1993, grâce aux vingt projets en cours dans le monde, la société détient désormais près du quart du marché 50 Hz (c’est-à-dire hors pays de normes américaines). G.E.C. Alsthom pouvait aussi se flatter du bon démarrage de la centrale nucléaire chinoise de Daya Bay, dont elle a réalisé la partie conventionnelle et qui a atteint sa puissance nominale de 1 000 MW. Des centrales thermiques et hydrauliques sont par ailleurs en réalisation ou en commande au Canada, en Inde, en Chine, en Thaïlande, à Taïwan, en Afrique du Sud et au Mexique.

Quant aux transports, G.E.C. Alsthom a reçu en 1993 la commande de deux paquebots de croisière de 1 800 passagers pour Les Chantiers de l’Atlantique qui sont en train de devenir les spécialistes des paquebots de luxe. En matière de transports ferrés, la société continue à enregistrer des succès pour la construction des voitures des métros de Caracas (Venezuela), de la ligne n° 5 du métro de Santiago (Chili), des lignes 3 et 5 de celui de Valence (Espagne), ou pour les matériels ferroviaires classiques (Belgique, Mexique). Mais la vedette reste au T.G.V. dont G.E.C. Alsthom, après la commande de 37 rames pour la desserte de Paris-Bruxelles-Amsterdam et Cologne, vient de recevoir celle de 8 rames supplémentaires pour l’A.V.E. espagnol, et va recevoir quelques mois plus tard la commande du train coréen, succès qui aura à juste titre un grand retentissement confirmant ainsi le rôle prééminent du TGV français, le seul exporté qui roule ou roulera dans sept pays, outre la Corée : France, Espagne, Belgique, Pays-Bas, Grande-Bretagne, Suisse et Allemagne.

Cegelec de son côté consolidait ses positions en particulier hors de France dans l’équipement des réseaux électriques (Indonésie, Emirats, Vietnam, Brésil), les installations électriques générales des centrales nucléaires ou conventionnelles (France, Mexique, Hong Kong) ou les centrales hydrauliques (Argentine, Mexique et Pakistan). Dans le domaine des automatismes industriels, Cegelec recevait des commandes pour des raffineries (Koweit) des plates formes de forage et l’industrie nucléaire (Marcoule) ou la propulsion de navires (Chantiers de l’Atlantique) brise glace pour l’US Coast Guards, ou frégates britanniques. Cegelec précisa à cette époque son projet de se développer fortement dans ce secteur en acquérant les activités correspondantes de A.E.G., essentiellement en Allemagne, soit un chiffre d’affaires de 2,5 milliards de francs et 2 600 personnes, ce qui doublerait sa taille dans les automatismes industriels. Ce projet n’aboutira qu’en 1995.

Le secteur édition et médias se développait également avec notamment l’objectif de prospecter et préparer les activités nouvelles que laissaient prévoir les techniques multimédias. Les intérêts d’Alcatel Alsthom dans l’édition résidaient dans sa position d’actionnaire important du Groupe de la Cité, dont le chiffre d’affaires dépassait 7 milliards de francs. Dans les médias figurait en premier lieu la presse écrite : le groupe Express, renforcé par l’acquisition du Point, puis de Courrier International, réalisait un chiffre d’affaires de 1 100 MF. Mais Alcatel Alsthom, par le truchement de Générale Occidentale, animée désormais par un directeur général, Françoise Sampermans, à l’entregent efficace, et dont le caractère volontaire sous des apparences charmeuses et urbaines, savait surmonter bien des obstacles, s’intéressa à des domaines nouveaux : la radio avec l’acquisition de 49 % de Radio Nostalgie, dans la perspective de la privatisation de Radio Monte Carlo sa mère, la télévision avec la responsabilité opérationnelle de la chaîne européenne Euronews, dans lequel le groupe prit une participation minoritaire. Mais le groupe s’intéressa aussi à la télévision câblée par l’achat de Rediffusion en Suisse, ou l’essai de mise au point d’une société de téléachat.

Toutes ces opérations comme les positions recherchées ou gagnées dans des opérateurs de télécommunications étaient décidées pour familiariser le groupe avec le monde multimédia qui s’annonçait, et préparer une diversification éventuelle à partir des nouvelles techniques de télécommunications qu’Alcatel maîtrisait ou développait.

Dans les années 93-94, Alcatel avait en effet développé de nouveaux secteurs à côté de la commutation et transmission traditionnelles dont elle était le leader mondial.

Pour la commutation large bande, Alcatel avait à cette époque pour clients huit des dix pays qui avaient décidé de s’équiper dans la technique A.T.M., chacun de ses deux concurrents n’ayant gagné chacun que deux clients. J’ai déjà dit la position de n° 2 mondial pour les infrastructures de téléphonie mobile G.S.M., et les développements lancés pour les réseaux de données qui allaient exploser avec le Protocole Internet. En transmission synchrone S.D.H. (ou Sonet) les parts de marchés d’ Alcatel dépassent 30 %, contre 17 % pour les systèmes traditionnels et font de la société le leader mondial en S.D.H. Cette position fut officiellement consacrée par la commande, le 13 décembre 1993 par la division longue distance d’A.T.T., pour 100 millions de dollars de “ cross-connect Sonet ” : A.T.T. avait déjà acheté hors de son groupe certains produits, mais jamais jusqu'à cette date des produits stratégiques et pour un tel montant. Alcatel confirme aussi sa position de leader mondial avec l’acquisition de S.T.C. pour les systèmes sous-marins tous à fibres optiques désormais et c’est aussi à cette époque qu’Alcatel annonça sa participation au système universel de communication mobile par satellite Globalstar.

Alcatel avait alors acquis une crédibilité unique sur l’ensemble des nouvelles technologies. Cette position constituait une avance précieuse pour participer à des marchés comme le “ multimédia ”, dont les perspectives de développement apparaissaient fascinantes. Pour British Telecom et la Bermuda Telephony Company, Alcatel réalisa des systèmes complets de vidéo à la carte (plusieurs milliers d’abonnés) destinés à tester les futurs services interactifs à domicile. Alcatel a par ailleurs développé le premier système A.T.M. permettant la transmission numérique des films, spectacles et vidéos de haute définition. Ce système fut retenu par Pacific Bell aux Etats-Unis pour son programme “ Cinéma du Futur ” de distribution directe de films aux salles de cinéma.

En avril 1994, je terminai la présentation à la presse des activités d’Alcatel en concluant “ L’intérêt porté aujourd’hui au multimédia peut changer profondément nos modes de vie, nos comportements et poussera bientôt à de formidables développements technologiques d’accès direct à l’information interactive. Je pense que la vocation globale d’Alcatel est aussi un avantage fondamental pour saisir ces opportunités qu’offriront les technologies de demain. ”

La position conquise par Alcatel Alsthom sur ses marchés lui valait dans les années 92 et 93 une image très positive et des commentaires très (trop) flatteurs.

Le 9 décembre 1992 Alcatel Alsthom reçoit le Prix Cristal 1992 de la transparence de l’information financière décerné par la Compagnie des Commissaires aux Comptes et le journal Les Echos.

La Tribune Desfossés en janvier 1993 lui attribua le prix de la meilleure stratégie. Le Prix Tribune, selon ses parrains, distingue l’entrepreneur ayant par sa stratégie le plus marqué le millésime de son empreinte. “ C’est au patron d’Alcatel Alsthom qu’il est dévolu pour 1992, année d’une très sérieuse consolidation, faisant de son groupe le numéro un mondial des télécommunications, des turbines et du T.G.V. notamment. ” Le 3 décembre 1993, le jury réuni par La Vie Française décerne à Alcatel Alsthom le premier prix du palmarès de l’image financière des entreprises, ce qui nous vaut la page de couverture du magazine avec la photo du président du Groupe “ le premier du classement des entreprises préférées des actionnaires”. La presse a tendance à excessivement concentrer ses commentaires sur la personne du président, photo à l’appui : Time Magazine, en janvier 92, sous-titre son article sur Alcatel “ Alcatel a abandonné son passé encombrant pour devenir le champion des télécommunications ” et écrit plus loin “ ... Suard a maîtrisé une série de fusions et d’accords qui ont, en 1991, propulsé Alcatel devant A.T.T., le géant américain du téléphone, et fait de la société française le champion global en titre des télécommunications ! ”. De son côté, Le Nouvel Economiste (24 juillet 1992) titre : “ Alcatel Alsthom : les secrets d’une réussite ” (page de couverture) ; le Figaro Economie (14 mars 1992) : “ Alcatel Alsthom : la réussite Suard ” ; La Tribune, le 12 octobre 1992 : “L’irrésistible ascension ” ; Le Nouvel Economiste (10 avril 1992) “ La méthode Suard, main de fer dans un gant de velours, ou comment l’ingénieur timide a fait place au manager incontesté. ”

En effet, beaucoup d’articles, tout en saluant les résultats acquis, reprennent les commentaires qui avaient fleuri lors de ma nomination à la tête du groupe sur le thème de l’ingénieur provincial pourchasseur d’économies, pas stratège, fuyant les mondanités. Le Nouvel Observateur se surpassa sur ce registre en septembre 1993. Sous le titre “ C’est l’homme le plus puissant de France ”, il écrivait “ Après le T.G.V., le téléphone et le nucléaire, la presse ... A la tête du plus grand groupe privé français, Alcatel Alsthom , il dispose de 10 milliards de francs par an pour acheter ce qu’il veut... Au contraire de ses flamboyants prédécesseurs, Ambroise Roux et Georges Pébereau, Pierre Suard conserve son profil de directeur d’usine. Portrait d’un petit homme gigantesque.” Suivent quatre pages de texte où l’on peut lire des commentaires plutôt balancés : “ Surprise, ce besogneux s’est révélé lui aussi un as du kriegsspiel, un négociateur redoutable. Ajoutez à cela une frénésie de restructurations avec des suppressions d’emplois en pagaille. Les résultats sont là : sous le septennat de Suard la valeur d’Alcatel Alsthom est passée de 15 milliards en 1986 à 108 aujourd’hui ! ” “ Tout cela a de la gueule ” reconnaît un ex-ministre de l’Industrie socialiste, qui à l’époque se plaignait de voir ce patron militant supprimer des emplois en priorité dans les municipalités de gauche ... Naturellement, il n’en était rien. Mais ces clichés constamment répétés finissaient par porter et, à l’heure des difficultés, subsisteront seuls.

Je n’ai jamais souhaité cette personnalisation , mais elle était à la mode et même indispensable disaient les spécialistes de la communication. C’est pour cette raison que, comme l’a révélé La Lettre A du 4 novembre 1993, j’ai refusé d’être désigné “ Manager de l’année en 1993 ”. “ Le président d’Alcatel Alsthom a fait savoir qu’il ne souhaitait pas recevoir un tel prix qui récompense l’homme alors que c’est l’entreprise que l’on doit honorer. Noël Goutard, arrivé en seconde position, a finalement été choisi par Le Nouvel Economiste.” Le mérite du succès d’Alcatel Alsthom revenait en effet à une équipe nombreuse dans un groupe aussi vaste. Mais ce langage passait mal : si vous mettez en avant vos collaborateurs comme ils le méritent, vous êtes catalogué timide.

Cet engouement pour Alcatel Alsthom appelait une correction. La crise économique sévissait en Europe et touchait maintenant les activités du groupe.

Alcatel Alsthom possédait les atouts nécessaires pour traverser cette crise honorablement si son parcours n’avait pas été handicapé par une invraisemblable affaire dont je dirai quelques mots en conclusion.

 

 

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